Yvan Perrin: «Un homme politique doit se fixer des priorités s’il veut survivre»


INTERVIEW
  
L’égérie zurichoise de l’UDC Suisse, Natalie Rickli, a fait un burn-out. Christoph Blocher lui-même a avoué avoir failli craquer. Yvan Perrin, potentiel candidat au Conseil d’Etat neuchâtelois, a vécu un tel épisode il y a deux ans.



Vous rappelez-vous de votre burn-out?
Je n’oublierai jamais. C’était en janvier 2010. Je ne me rappelle plus de la date exacte, mais c’était un dimanche électoral (ndlr: le 17 janvier, jour de l’élection complémentaire au Conseil d’Etat neuchâtelois). J’avais prévu de me lever tôt le matin pour me rendre au Château à Neuchâtel et commenter les résultats du vote. Bref, un dimanche électoral comme les autres. Sauf que cette fois-ci, une fois debout, je me suis rendu compte que je n’avais plus de force. J’étais crevé. J’ai envoyé des SMS à mes collègues de parti pour leur dire que je ne pourrais pas les rejoindre. Je vois encore le natel qui se casse la figure par terre et puis je ne me souviens plus de rien.
Combien de temps ce trou noir a-t-il duré?
Cinq jours. C’est mon oncle qui m’a réveillé chez moi dans mon lit. Ma famille s’inquiétait de mon absence. Elle pensait que j’avais eu un malaise. Ma disparition n’était pas dans mes habitudes. Et le plus troublant était que je n’avais pas donné signe de vie. Il n’y avait aucune trace dans la neige. Je n’avais pas déblayé. Ma voiture était garée devant la maison. Le courrier était en plan.
Comment a réagi votre oncle?
Je ne savais pas ce qu’il faisait là, devant moi. J’avais l’impression de sortir d’une longue sieste. Lorsqu’il m’a dit qu’il était jeudi et que cela faisait des jours que je n’avais pas donné signe de vie, je ne l’ai d’abord pas cru.
Qu’avez-vous fait durant ces cinq jours?
J’ai retrouvé chez moi un ticket de la boulangerie. Un conseiller communal m’a raconté qu’il m’a vu sortir de la boulangerie et m’a dit que j’avais mauvaise mine. Moi, je ne me rappelle pas lui avoir parlé. Pour le reste, aucune idée.
Avez-vous vu venir ce malaise?
Pas du tout. Le plus troublant dans cette affaire, c’est que, la veille, je me portais comme un charme. Cela avait été l’euphorie. J’étais au top. J’avais l’impression de tout pouvoir gérer. Mais en fait je n’allais pas bien du tout.
Qu’est-ce qui n’allait pas?
Je ne dormais plus. Ce qui aurait dû m’alerter. Mais, sur le moment, cela m’arrangeait bien parce que je pouvais travailler encore plus. En fait je travaillais beaucoup trop. J’avais même rapatrié mon bureau dans ma chambre à coucher pour réagir à tout moment. J’en étais au point de ne pas réussir à dormir, parce que j’avais une idée. Et de ne pas dormir parce que je la mettais sur le papier à 3 h. Généralement, les gens tirent sur la corde et lorsqu’ils sont fatigués, ils se reposent. Mais pas moi.
Le surmenage est-il la seule cause de votre burn-out?
Ce qui m’a tiré le plus en bas, c’était le manque de soleil durant cet hiver. Pendant trois mois, il n’y avait que du brouillard. C’était terrible pour moi qui souffre de dépression saisonnière. Un enfer qui m’a détruit moralement. Si vous ajoutez à cela la perspective de prendre la présidence de la commission des institutions politiques du Conseil national… C’était une première pour moi, cela m’inquiétait. Il y avait encore la campagne fédérale passablement stressante que je suivais en tant que vice-président du parti national, et mon mandat d’exécutif au Conseil communal de La Côte-aux-Fées. Bref, un mandat plus un autre et encore un autre, un moment cela fait trop et ça casse.
N’aviez-vous pas trop de casquettes?
C’est la grande leçon. Personne ne peut tout faire à la fois. Pour survivre, il faut en être conscient et faire des choix. Se fixer des priorités.
Pourquoi avoir assumé autant de mandats? Vous sentiez-vous indestructible?
C’est arrivé petit à petit. On vous en propose un. Puis un autre. Vous ne refusez pas, vous en êtes fier et vous ne vous rendez pas compte des effets secondaires. On est toujours plus intelligent après. Je pense désormais que si on accepte une nouvelle responsabilité, on doit en abandonner une autre.
Avez-vous depuis réduit la voilure?
Évidemment. Mais cela a pris du temps parce que je n’ai démissionné qu’après avoir terminé ce que j’avais à faire. Tout de suite après mon burnout, j’ai pu quitter mon poste au Conseil communal. Puis, cette année, j’ai quitté la police et le poste de vice-président de l’UDC. Aujourd’hui, je me concentre uniquement sur le Conseil national et mon nouvel emploi dans une entreprise de sécurité privée à La Chaux-de-Fonds. J’assume encore la présidence de la Société neuchâteloise de tir sportif. Mais c’est pour mon plaisir.
Lorsque vous avez démissionné, avez-vous évoqué franchement votre burn-out?
J’ai parlé de surcharge de travail.
Pour vous, qu’est-ce que le burn-out? Une maladie psychique? Un accident du travail?
Il n’y a pas de définition universelle du burn-out. Ce n’est pas comme la grippe. Mon médecin d’ailleurs ne m’a jamais parlé de burn-out. Je dirais que c’est un épuisement général psychique et physique. Chacun le vit à sa manière et trouve ses remèdes.
Au niveau humain, qu’avez-vous appris?
Que personne n’est indispensable. J’ai disparu des écrans radar pendant cinq jours et le monde a continué sans moi. Cela m’a surpris, mais j’en apprends tous les jours. Par ailleurs, je pense qu’à vouloir trop en faire, je n’ai pas toujours réussi à bien faire. Je ne dis pas que j’ai bâclé mon travail, mais parfois j’aurais fait encore mieux si je n’avais pas été surmené. Par exemple, j’ai très mal négocié à la police le virage du nouveau Code de procédure pénale.
Vous réapprenez à vivre?
Après avoir réduit mes mandats, j’ai redécouvert la vie de tous les jours. J’ai repris le sport, la course à pied et la musculation. Cette année, je suis retourné aux bals de la mi-été dans le Val-de-Travers. Cela faisait bien dix ans que je n’y avais plus mis les pieds. Je fais aussi du vélo avec mon jeune filleul.
Vous avez donc réorganisé votre quotidien?
Lorsque vous vous retrouvez chez vous le soir à devoir occuper votre temps libre, alors que vous êtes habitué à toujours avoir à faire quelque chose, cela crée un vide. Mais j’ai appris à le faire. J’ai aussi revu mon espace intérieur. Avant, ma maison était une vraie caverne d’Ali Baba. Je conservais tous les documents. Aujourd’hui, j’ai fait le tri et ai rangé le nécessaire dans trois armoires et un coffre-fort pour les papiers importants.
Avez-vous désormais tourné la page?
Oui, mais je sais que la situation est provisoire. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Et comme je ne désire pour rien au monde revivre ce que j’ai vécu, je prends les devants. J’aime trop la vie. Mon médecin m’a dit que ce qui m’est arrivé est un avertissement sans frais. Il n’en faut pas deux.
Qu’entendez-vous par prendre les devants?
Un indice, ce sont les ongles. Quand il n’y en a plus, c’est qu’il faut prendre un peu de distance. Ce que je fais en prenant du temps pour moi. Maintenant, si je ressens une surcharge de travail, je lâche prise. Cette année, je me suis occupé de mes roses. Elles étaient exceptionnelles.
Vous pouvez désormais disparaître à tout moment, lorsque vous en ressentez le besoin?
Je me permets de déconnecter en fonction des tâches à assumer. Je ne me permettrai jamais d’abandonner une session au Conseil national. Je n’ai d’ailleurs jamais raté un vote depuis le début de cette législature. Le lâcher-prise se fait donc le week-end en acceptant moins d’obligations. Quitte à annuler des rendez-vous prévus. Cette année, je suis parti deux semaines en vacances aux Maldives. J’avais averti tout le monde, famille et parti, que je débrancherais mon téléphone. Je ne l’avais jamais fait avant.
Combien de temps a pris la convalescence?
Physiquement, j’ai remonté la pente rapidement. Mentalement, j’ai pris plus de temps. Il faut d’abord comprendre ce qui ne va pas, choisir ce qu’il faut changer. Et après, il faut accepter ces changements. C’est un long cheminement. Je pense en être vraiment sorti fin 2011.
Avez-vous consulté un psychiatre?
Non. J’ai un médecin de famille. Nous nous connaissons depuis très longtemps.
Avez-vous pris des médicaments?
De puissants somnifères les jours qui ont suivi ma chute. Et aussi, vu que je souffre de dépression saisonnière, j’ai pris des médicaments pour me remettre au beau fixe. Mais j’ai tout arrêté depuis longtemps.
Et vos proches, comment vous ont-ils accompagné?
Ils étaient inquiets dans un premier temps. J’ai eu de la chance d’avoir ma famille et mes amis à côté de moi tout au long de ma convalescence, pour me soutenir durant les moments difficiles. Surtout les premiers mois de l’année 2010. Ils ne m’ont jamais demandé de tout arrêter.
Et au niveau sentimental, comment l’avez-vous vécu?
C’est clair que ce ne fut pas la période la plus heureuse de notre relation. La situation d’urgence ne nous laissait pas tellement de loisirs pour autre chose mais mon couple n’a jamais eu de lien avec mon burn-out.
Natalie Rickli, votre collègue de parti zurichoise, a fait elle aussi un burn-out. Avez-vous pris contact avec elle?
Je lui ai écrit pour lui résumer ce que j’avais fait pour m’en remettre. Je lui ai dit que j’étais disponible. Elle ne m’a pas encore répondu, mais c’est certainement trop tôt pour elle.
Avez-vous été surpris?
Non. Natalie était scotchée à Twitter et à Facebook. Après une séance tard le soir, elle s’occupait encore d’envoyer des messages. Or il faut se fixer des limites, se donner le temps de dormir. Ce que je n’ai certainement pas fait. Natalie et moi avons voulu en faire trop.
Y a-t-il un lien de cause à effet entre l’UDC et le burn-out?
Nous n’en avons pas l’exclusivité, malheureusement. D’autres parlementaires, à gauche comme à droite, m’ont confié avoir connu des moments difficiles. Mais bon c’est quand même troublant. Même Christoph Blocher a avoué avoir connu des moments difficiles… Je pense que le burnout est lié à des perfectionnistes. Les désinvoltes ne connaissent pas le surmenage. Ne s’engagent pas à fond dans leur activité. Ne prennent pas de risques.
Les membres UDC seraient-ils donc trop perfectionnistes?
Il y en a aussi dans d’autres partis. Peut-être que le burn-out est visible à l’UDC parce que ses personnalités sont très médiatisées. L’absence de Natalie a tout de suite été remarquée.
Le style décidé et percutant de l’UDC peut-il fragiliser certains de ses membres?
Nous avons un discours clair qui peut heurter. Du coup, la réponse peut être tout aussi claire et percutante. Ce qui peut brusquer des sensibilités. C’est vrai que certains de mes collègues en voient de toutes les couleurs. Mais on ne va pas changer le style d’un parti qui a 80'000 membres parce que deux d’entre eux se sont sentis mal un moment.
Pensez-vous un jour inscrire le burn-out à l’ordre du jour de votre parti?
Je pense qu’il faudra le faire. Je n’ai pas encore proposé l’idée à la direction de l’UDC. J’attends d’abord le retour de Natalie pour en parler avec elle. Je connais moins la sensibilité sur le sujet en Suisse alémanique. Au niveau romand, en tout cas, je pense qu’il faut consacrer prochainement un moment de réflexion sur le sujet. Cela pourrait éviter à certains des mauvaises expériences.
Comment les membres UDC ont-ils vécu votre burn-out?
Nous sommes connus pour ne pas nier les problèmes et le burn-out en est un. Ce n’est pas un tabou dans le parti. Les collègues ne me l’ont pas reproché. Ils m’ont plutôt soutenu et exprimé leur compréhension.
Et vous, comment l’avez-vous vécu à l’UDC? Comme un aveu de faiblesse?
Je me serais volontiers passé de cette expérience… Mais j’ai fait des erreurs et je les assume.
Vous serez peut-être candidat au Conseil d’Etat neuchâtelois en 2013. Votre burn-out est-il un point faible?
A priori, ce n’est pas un avantage. Quoique. Moi, au moins, je sais comment anticiper une rechute. Une personne qui a eu un burn-out doit s’organiser différemment en gardant à l’esprit que cela peut se reproduire. Je connais désormais mes limites. Comme l’actuelle conseillère d’Etat neuchâteloise sortante, Gisèle Ory, qui semble assez soulagée de terminer son mandat en 2013.
Vous êtes élu. Vous sentez que vous avez besoin de vous reposer un week-end, mais un cas d’urgence se manifeste. Que faites-vous?
Pour un cas extrême, j’assumerai mes responsabilités. Mais ce n’est pas fréquent. Et puis il faut savoir déléguer.
En cas d’élection, serait-ce un nouveau mandat de trop?
Si je suis élu, j’annoncerai le soir même mon départ du Conseil national et de mon entreprise. La présidence de la Société de tir, je la garde. Vous savez, si je n’avais pas réussi à remonter la pente, j’aurais arrêté la politique. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire